
Une fausse déclaration bouleversante, utilisée pour manipuler l’opinion publique et justifier l’intervention militaire américaine en Irak en 1991. Retour sur l’affaire des couveuses au Koweït, l’un des plus grands coups de propagande de la fin du XXe siècle.
🧨 Une manipulation émotionnelle pour vendre une guerre
Octobre 1990. Une jeune fille koweïtienne prénommée Nayirah témoigne en larmes devant le Congrès américain. Elle affirme avoir vu des soldats irakiens envahir un hôpital à Koweït City, arracher des bébés prématurés de leurs couveuses et les laisser mourir sur le sol froid.
Le récit fait le tour du monde. Il bouleverse l’opinion publique et alimente une indignation croissante contre le régime de Saddam Hussein. Ce témoignage devient rapidement l’un des piliers rhétoriques de l’administration Bush pour justifier une intervention militaire au Koweït.
Mais quelques mois plus tard, la vérité éclate. Ce témoignage était un mensonge soigneusement orchestré. Voici comment cette fausse histoire a été construite et utilisée pour précipiter l’entrée en guerre des États-Unis.
🕵️ Qui était Nayirah, et pourquoi son témoignage a-t-il compté ?
Au moment de son discours, Nayirah se présente comme une simple volontaire dans un hôpital koweïtien. Son identité complète est dissimulée pour « protéger sa famille ».
En réalité, Nayirah est la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, Saud al-Sabah. Son intervention devant le Congrès a été mise en scène par l’agence de relations publiques Hill & Knowlton, payée plus de 10 millions de dollars par un groupe financé par l’État koweïtien : Citizens for a Free Kuwait.
La campagne médiatique a été extrêmement efficace. En quelques jours, le témoignage est diffusé sur toutes les grandes chaînes américaines. Le président George H. W. Bush le cite à cinq reprises dans des discours appelant à l’intervention.
🛑 La supercherie révélée
À partir de décembre 1990, des ONG et des journalistes commencent à enquêter :
- Middle East Watch (HRW) affirme qu’aucun témoin indépendant n’a vu ce genre de scène dans les hôpitaux de Koweït City.
- Amnesty International, qui avait initialement repris l’info, se rétracte.
- En 1992, un documentaire canadien (To Sell a War, CBC) expose les coulisses de la manipulation, preuves à l’appui.
Les faits sont clairs : aucun bébé n’a été sorti de couveuse par des soldats irakiens. Le récit n’a été corroboré par aucun personnel médical, aucun journaliste, ni aucune enquête indépendante.
📊 L’impact réel de ce faux témoignage
Le mensonge de Nayirah n’a pas simplement ému. Il a changé le cours de l’histoire :
- Il a renforcé le soutien populaire et politique à une guerre qui faisait encore débat.
- Il a été cité par sept sénateurs dans les discussions décisives précédant le vote autorisant l’intervention militaire.
- Il a servi de modèle pour les futures manipulations de l’opinion par des gouvernements ou des agences de communication.
🔍 Pourquoi cette affaire reste cruciale aujourd’hui
L’affaire des couveuses est un exemple canonique de « propagande d’atrocité », une tactique utilisée pour déclencher l’indignation morale à des fins stratégiques. Elle rappelle que l’émotion peut court-circuiter la pensée critique, surtout dans un climat de guerre.
À l’ère des réseaux sociaux et des fake news virales, cette histoire résonne fortement : elle illustre la nécessité d’un journalisme rigoureux, d’une transparence démocratique et d’une méfiance saine envers les récits trop parfaits.
📚 Sources & références
- Human Rights Watch — rapport de 1990 : https://www.hrw.org
- Amnesty International, déclarations officielles de 1991
- To Sell a War, CBC (1992)
- Second Front: Censorship and Propaganda in the Gulf War, John R. MacArthur
- Washington Post, 1992 : révélations sur Hill & Knowlton et Citizens for a Free Kuwait
🧠 À retenir
Une fausse histoire, racontée au bon moment, peut justifier une guerre.
L’affaire des couveuses reste un avertissement puissant : avant d’adhérer à un récit tragique, posons la question essentielle — à qui profite-t-il ?